
Exposition 1925
Des éléments de contexte historique (histoire de l’art) autour du dossier Ronsillac.
L’EXPOSITION INTERNATIONALE DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS MODERNES DE 1925.
Didier Bontemps
INTRODUCTION
L’année 1925 est imprégnée de l’héritage de la fin du XIXème siècle, mais se tourne déjà vers autre chose; un quelque chose non encore défini. L’année 1925 jette, sans en prendre encore vraiment conscience, les bases de ce que seront les fondements de l’art du XXème siècle. Des troubles politiques, économiques marquent cette période de l’entre-deux guerres. 1925 prend alors une dimension toute particulière. Elle s’articule entre deux arts de vivre. L’un attaché au système bourgeois et à des traditions contraignantes et restrictives techniquement et stylistiquement. L’autre tourné vers un avenir que l’on veut moderne. Dans ce contexte, l’Exposition de 1925 va devenir une compétition entre les années 1900, représentées par la « Belle Époque » et l’Art Nouveau et le présent caractérisé par les « Années Folles » et l’Art Déco. Vingt-et-un pays participent à l’Exposition, la plupart européens. Il est à remarquer que l’Allemagne et les États-Unis déclinent l’invitation. L’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris ouvre ses portes le 28 avril 1925.
POURQUOI CETTE EXPOSITION ?

Majorelle, bureau nénuphar, bois et bronze. (dessin DB)

Émile Gallé, base d’un pichet (détail), vers 1900. (dessin DB)
L’idée d’organiser une exposition telle que celle de 1925 remonte aux années 1906/1907. Il y a une prise de conscience des architectes, des décorateurs, des créateurs qui ont fait le « style 1900 » et participé à l’exposition de cette même année, que l’Art Nouveau arrive à une sorte d’épuisement, de non renouvellement. La notion d’atelier et d’édition va cependant demeurer avec l’apport du marchand et collectionneur Samuel Bing et son Pavillon de l’Art Nouveau. Émile Gallé connait un succès remarquable avec ses “verreries”, Majorelle avec ses “meubles nénuphars”, et René Lalique se révèle le bijoutier le plus inventif avec l’utilisation nouvelle de la pâte de verre.

Paul Follot, table, 1925, (dessin DB)

Maurice Dufrêne, fauteuil, 1925, circa, (dessin DB)
Raymond Koechling (1860-1931, historien d’art et vice Président de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (U.C.A.D.) analyse la situation ainsi avant l’exposition en 1925 alors qu’il soutient et défend la production moderne : (…) « plusieurs industriels entrant sans précipitation suffisante dans la voie nouvelle avaient mal orienté leurs recherches et s’étaient lourdement trompés ; on doit reconnaître de même que les artistes avaient éparpillés leurs efforts. (…). (…) Tous les intérêts menacés par les nouveautés se liguèrent; ceux des industriels qui en étaient restés à leurs buffets Renaissance et à leurs bergères pseudo XVIIIème. (…). (…) Ils déclarèrent la guerre aux “jeunes fous” dont ils entrevoyaient la lointaine concurrence. Les antiquaires vinrent à la rescousse : que deviendrait le commerce du “vieux/neuf”, le jour où la mode serait à des formes nouvelles ? (Extrait de Raymond Koechling, « l’Exposition des Arts Décoratifs Modernes. Les premiers efforts de rénovation (1885-1914) », Gazette des Beaux-Arts, Paris, 1925, 1er semestre, pp.258-259).
En 1901, les créateurs fondent la Société des Artistes Décorateurs (S.A.D.), avec entre autres le peintre pompier Georges-Antoine Rochegrosse, les ornemanistes de l’Art Nouveau dont Eugène Grasset, l’architecte Hector Guimard et de jeunes créateurs qui participeront à l’exposition de 1925 : Paul Follot, Maurice Dufrêne. A partir de 1906, ils organisent une exposition annuelle. C’est alors qu’est lancée l’idée d’une confrontation internationale où la France retrouverait un rôle de leader qu’elle semblait avoir perdu.
LES OBJECTIFS
L’exposition doit réunir des artistes, des créateurs, des artisans mais également des industriels en vue d’afficher la création française à travers des objets utilitaires ou somptuaires. La contrainte : Cette exposition devra être exclusivement d’art Moderne. Aucune copie ou pastiche des styles anciens n’y sera admis.
LES ARGUMENTS
Un rapport de juin 1911 publié à la suite des expositions de Turin de 1902, de Milan de 1906 et de Rome de 1911 fait un état des lieux de la création en France dans le domaine des arts décoratifs : “Depuis 40 ans, nous faisons commerce de toutes les richesses de notre mobilier national. Nous débitons des copies… des surmoulages… fabriqués en Italie, Espagne ou Belgique où la main d’oeuvre est moins chère… Tomberons-nous à n’être qu’un peuple de mouleurs et de copistes ? La concurrence “moderne” est rude, et la France prend du retard par rapport à ses voisins européens plus innovants.” (Extrait d’un rapport sur une Exposition Internationale des Arts Décoratifs Modernes. Paris, 1er juin 1911. Sans nom d’éditeur – Bibliothèque des Arts Décoratifs , Paris).
LES ESPOIRS ÉCONOMIQUES
Les fabricants produisent et vendent des objets semblables, les modèles étant tombés dans le domaine public : Renaissance, Louis XVI, Empire. De nouveaux modèles, contemporains, devraient amener la notion d’exclusivité et de part de marché pour l’industriel.
LES INNOVATIONS ARTISTIQUES
“Il faut ajouter l’art à l’utile, et non plus par l’art rendre inutilisable un objet utile”. (Extrait d’un rapport sur une Exposition Internationale des Arts Décoratifs Modernes. 1er juin 1911. Sans nom d’éditeur – Bibliothèque des Arts Décoratifs , Paris). L’art décoratif s’apparente jusqu’ alors à l’art des industries du luxe. À partir de 1920 l’appellation arts décoratifs sera remplacée par art appliqué à l’industrie . Les créations dites “modernes” sont encore trop souvent des pièces uniques (donc chères). La production en série va orienter la création vers un désir de démocratisation de l’art.
LES EXPOSITIONS COMME VITRINES DES PRODUITS DE L’ INDUSTRIE
Le développement et la répétition des expositions est un phénomène relativement récent. Il rythme le XIXème siècle et le début du XXème siècle (à l’exception de l’exposition des productions industrielles françaises de 1798 à Paris qui visait à abolir la mainmise des corporations sur la production). La multiplication des expositions est liée à l’apparition et au développement de l’industrie, ainsi qu’aux transformations sociales et économiques qui en découlent. Neuf expositions nationales vont se succéder à Paris durant la première moitié du XIXème siècle.

Joseph Paxton, le Crystal Palace, 1851, Exposition Universelle de Londres, (dessin DB)
C’est à Londres cependant que va avoir lieu la première grande exposition internationale en 1851. Elle préfigure un nouvel état d’esprit et une nouvelle conception d’un monde industriel ouvert (concurrence avec l’étranger). Elle est également un grand succès populaire puisque six millions de visiteurs voient le Crystal Palace de Joseph Paxton. Les créateurs restent néanmoins sceptiques et souvent désemparés devant la puissance et les possibilités nouvelles que propose l’industrie. Ils ne savent pas utiliser et s’approprier les nouveaux matériaux ou les nouvelles techniques. En ce qui concerne le fer et le verre, les ingénieurs remplacent les architectes.
En 1884, est fondée en France l’Union Centrale des Arts Décoratifs (U.C.A.D.). Elle va organiser des expositions par thèmes en associant des créations contemporaines mettant en pratique une technique appropriée. À la fin du XIXème siècle, les salons réservés aux arts dit “nobles” s’ouvrent progressivement aux arts décoratifs.

Style Louis-Philippe, commode, (dessin DB)

Style Biedermeier, commode, (dessin DB)
En 1910 a lieu le Salon d’Automne des artistes du Werkbund. Les artistes allemands du Werkbund seront baptisés les “munichois” par les français. Le Werkbund a été fondé en 1907 à l’initiative de l’architecte Hermann Muthesius. Werkbund signifie : “le lien pour l’oeuvre” et ce mouvement appelle à “dignifier le labeur industriel en assurant l’action concentrée de l’art, de l’industrie et de l’artisanat.” On peut y percevoir déjà ce que seront les orientations du Bauhaus neuf ans plus tard, en 1919. Les français sont désorientés devant la force, la volonté et l’unité des “munichois”. Ces derniers semblent représenter un danger : le critique M.-P Verneuil écrit d’ailleurs dans la revue Art et Décoration en 1910 : (…) “au point de vue esthétique (…) que trouvons-nous de moderne ici ? En réalité peu de chose. Je vois la trace d’ influences directes et nombreuses : le style Biedermeier – Louis-Philippe alourdi, enrichi, germanisé. (…) Pourquoi Louis-Philippe ? s’il est une époque mesquine, lourde, sans grâce, c’est bien celle-là. (…) La France ne doit pas s’inspirer des “munichois”. (Extrait de M.-P. Verneuil, « le Salon d’Automne », Art et Décoration, Paris, 2ème trimestre 1910, pp. 129 à 137).

Richard Riemerschmid, buffet, 1900, (dessin DB)
Un certain nationalisme va émerger en France en réaction au Werkbund. Le Werkbund apporte pourtant des notions nouvelles : l’unité et la simplicité dans la conception de l’ameublement avec des formes rigoureuses comme celles de Paul Wenz et de Richard Riemerschmid, qui font souvent défaut dans la décoration française de l’époque.Vers 1910, des jeunes créateurs se rassemblent avec comme porte-parole le critique André Véra qui écrit en 1912 : “Pour le mobilier, la France n’ira chercher son inspiration ni chez les anglais, ni chez les hollandais. Elle continuera dans la tradition française, faisant en sorte que ce style nouveau soit la suite du dernier style traditionnel que nous ayons, c’est à dire du style Louis-Philippe.” (Extrait de André Véra, “le Nouveau Style”, L’Art Décoratif, Paris 1912, p31).
C’est dans ce contexte que l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs Modernes devait d’abord ouvrir ses portes en 1915. Elle fut repoussée en 1916, puis en 1922 et 1924. Enfin le projet put aboutir en 1925.
Les objectifs étaient toujours de promouvoir un art social, d’organiser une grande fête populaire, celle des “Années Folles”.
L’ EXPOSITION
Rapidement, une polémique s’installa autour de l’exposition et des réalisations proposées ; Auguste Perret déclare oralement lors de l’exposition : “L’art décoratif est à supprimer. Je voudrais d’abord savoir qui a accolé ces deux mots : arts et décoratif. C’est une monstruosité. Là où il y a de l’art véritable, il n’est pas besoin de décoration”. Le Corbusier avait déjà exprimé son point de vue quant à la situation des arts décoratifs, dans l’Esprit Nouveau en 1924 : “L’art décoratif c’est de l’outillage, du bel outillage” .
UNE FAILLITE ARCHITECTURALE
Les propositions ne furent pas à la hauteur de l’évènement. Les bâtiments proposés n’offraient qu’un mimétisme du vocabulaire et de la grammaire architecturale contemporaine. L’utilisation remarquée du béton armé n’a pas débouché sur une nouvelle conception de l’art de bâtir, en harmonie avec les matériaux nouveaux, les moeurs, les fonctions, les idéaux de l’époque. Les traditions pesaient lourdement sur la création.
LES PORTES ET JARDINS

la Porte d’Honneur, (dessin DB)

les arbres de Robert-Mallet Stevens, (dessin DB)
L’exposition occupe le coeur de Paris. L’accès se fait par plusieurs portes, dont la Porte d’Honneur. Elles ont essentiellement un caractère monumental et décoratif et pas du tout fonctionnel. L’organisation de l’exposition elle-même posera d’ailleurs problème en ce qui concerne la circulation dans Paris intra-muros et quant à la communication (espaces d’affichage). La Porte d’Honneur s’étend entre le Grand et le Petit Palais. Elle fut dessinée par les architectes Henry Favier et André Ventre avec le concours du ferronnier Edgar Brandt, et de René Lalique. Comme dans plusieurs endroits de l’exposition, le thème du “jet d’eau” au sommet des piles domine. Il deviendra un motif représentatif de l’Art Déco. Des jardins sont installés autour des pavillons qui composent l’exposition. Le plus remarqué fut celui aménagé par Robert Mallet-Stevens qui y plaça ses « arbres cubistes » réalisés par les frères Martel : organisation dans l’espace d’éléments préfabriqués en béton.
LES PAVILLONS

pavillon « Pomone » du Bon Marché, (dessin DB)
Les pavillons sont nombreux, mais leur qualité est inégale. Très peu vont présenter une réelle innovation. Imaginée à l’origine par la Société des Artistes Décorateurs (SAD), l’exposition s’appuie sur un bilan de 1910. Les objets présentés dans les pavillons sont pour la plupart d’une conception antérieure à 1924. Vers 1920, les Grands Magasins ouvrent des ateliers sur le modèle de la Galerie “L’Art Nouveau” de Samuel Bing. Paul Follot crée l’atelier “Pomone” au Bon Marché. Maurice Dufrêne crée “La Maîtrise” aux Galeries Lafayettes avec des objets dans le plus pur style Art Nouveau (luminaires, art de la table…etc). L’architecture de ces pavillons adopte un style géométrisant faisant référence autant au monde de l’objet qu’au monde de l’architecture. Le vocabulaire formel qui fera la caractéristique de l’Art Déco (volumes géométriques) est plaqué sur des façades.

Émile-Jacques Ruhlmann, mobilier et intérieur, (dessin DB)

l’hôtel d’un riche collectionneur, (dessin DB)
L’hôtel d’un riche collectionneur du groupe Ruhlmann a un très grand succès. L’architecte en est Pierre Patout avec des bas-reliefs de Joseph Bernard. L’intérieur tente de proposer une unité dans la diversité des mobiliers ou objets présentés. Émile-Jacques Ruhlmann est le créateur de la plupart des meubles, des tapis, des tissus. Les objets sont d’Edgar Brandt. Ruhlmann incarne la grande tradition française de l’ébénisterie du XVIIIème siècle, transposée dans les années 1920. C’est la clé de son succès.

Pierre Chareau, bureau-bibliothèque pour une ambassade française,1925.
L’Ambassade française : quelques éléments annoncent dans cette hypothétique ambassade des intentions “modernes”: le bureau-bibliothèque de Pierre Chareau, (architecte). Chareau se revendiquait davantage comme “ingénieur-constructeur” plutôt que “coloriste-décorateur”. L’espace est entouré d’étagères monochromes orthogonales. Il était ami avec Lipchitz et Lurçat et se situait dans l’aile “moderne” de la SAD en 1925. Le hall de Robert Mallet-Stevens fit davantage sensation avec une composition de Fernand Léger et un panneau de Robert Delaunay. L’organisation et la structuration intérieure en plans parallèles et horizontaux sont révélatrices d’une volonté moderniste de gérer les espaces grandissant.

Robert Mallet-Stevens, hall pour une ambassade française,1925, (dessin DB)
LES PAVILLONS MODERNES
Les pavillons modernes sont rares. Le critique Gabriel Mourey déclare : “l’exposition des Arts Décoratifs est immorale, voire anti-sociale. Ce n’est point l’exposition, mais l’art décoratif moderne qui est anti-social, antidémocratique. L’art décoratif moderne est essentiellement conservateur et rétrograde. Il produit pour les riches. C’est en vain que l’on cherchera dans toute l’exposition un projet de maison ouvrière ou seulement de logement”. (…) et il insiste : “Ruhlmann n’a-t-il pas surnommé sa création : “Hôtel d’un riche collectionneur”. En choisissant comme thème une ambassade plutôt qu’une maison du peuple, la S.A.D. a donné la mesure de l’esprit dans lequel travaillent nos architectes, nos meubliers, nos ornementalistes. ll n’y a rien de moderne”. Architectes et meubliers méconnaissent le triple principe d’économie : économie d’argent, économie de place, économie de matière qui régit la vie contemporaine. (1925).” D’un point de vue social, l’exposition de 1925 n’apporte pas de réponse. D’un point de vue esthétique, les résultats sont en deçà des espoirs escomptés. Les architectes, les meubliers, les ornemanistes cherchent à être rationnels. C’est un rationnalisme d’aspect et de surface. Il se traduit par l’utilisation de formes géométriques primaires. En architecture elles apportent monumentalité et rigueur mais n’en restent pas moins décoratives et arbitraires sans tenir compte des matériaux et des techniques nouvelles. L’exposition présente très peu d’éléments “modernes”. Citons les principaux :

Robert Mallet-Stevens, le pavillon du tourisme, 1925, (dessin DB)
Les deux pavillons de Robert Mallet-Stevens, dont le pavillon du tourisme en béton armé. L’absence de décor démeusuré, et la rigueur dans l’orthogonalité des éléments s’inscrit dans l’esprit “moderne”. Des similitudes flagrantes existent avec l’aménagement intérieur du hall pour une ambassade française.

Le Corbusier, le pavillon de l’Esprit Nouveau, 1925, (dessin DB)
La villa de l’Esprit Nouveau de Le Corbusier est l’édifice le plus “moderne” de toute l’exposition. Il établit une correspondance et une adéquation entre fonction et esthétique (forme/fonction). Ce pavillon est mal reçu par le public et les pouvoirs publics. Il a été financé par le méçénat de Henri Frugès (industriel à Bordeaux) pour qui Le Corbusier a construit la cité de Pessac la même année. Le pavillon est entièrement construit avec des éléments standards, préfabriqués. Ils sont pensés et conçus par rapport à leur fonction d’usage. Pour la partie “art décoratif”, Le Corbusier dit ceci : “Pour le mobilier, je me réfère à 1924 avec le souhait de fabriquer des meubles standardisés fonctionnels pour l’industrie et le commerce, sans rajout d’effet ou de rappel artistique ou historique par un quelconque décor chargé d’intention”. Aussi, Le Corbusier utilisera le travail de Thonet avec les sièges en bois étuvé. Le Pavillon de l’Esprit Nouveau était le plus pauvre de l’exposition ; ce fut la fierté de Le Corbusier. Il n’y avait rien de caché et toutes les intentions étaient visibles et lisibles (pas d’or, de nacre, d’ivoire, d’argent…). C’est la notion de “machine à habiter”.

Le Corbusier
ensemble de casiers standard, 1925,
« équipements intérieurs d’une habitation ». (non présenté à l’exposition) (dessin DB)
Le pavillon de l’URSS construit par Melnikov est avec le pavillon de l’ ”EspritNouveau” la création architecturale la plus innovante. Il a voulu répondre aux besoins modernes des expositions fonctionnelles et temporaires par les matériaux choisis, leur usinage et leur assemblage (bois/verre/couleur – dominantes rouge et blanc). Les critiques ont qualifié ce pavillon de « baraquement de fortune » et de réponse à la crise économique rencontrée en URSS. Ils n’y ont vu aucun signe pour l’avenir. L’intérieur présentait la diversité des tendances de l’art russe des années 20. Cohabitaient folklore et constructivisme dans la conception et les décors des objets (céramique de Suétine). Le théâtre, l’affiche, l’art du livre sont profondément marqués par le constructivisme et les avant-gardes : Kasimir Malevitch, Archipenko. Tatlin présente son monument pour la III ème internationale. Le pavillon de l’URSS est le seul pavillon étranger à proposer quelque chose de nouveau, de fonctionnel et adapté à une exigence moderne impliquant des critères économiques et esthétiques.

Konstantin Melnikov, le pavillon de l’URSS, 1925, (dessins DB)

Konstantin Melnikov, le pavillon de l’URSS, 1925, (dessins DB)
Le pavillon autrichien en revanche est confié à Joseph Hoffmann, le créateur des Wiener Werkstätte en 1903. Si l’ architecture du pavillon n’apporte pas de grandes innovations, Hoffmann fait cependant appel à Peter Behrens pour édifier sur la Seine une serre suprématiste. Paxton en 1851 avait développé une performance technique. Behrens propose ici une solution formelle ancrée dans les avant-gardes russes et adaptée à la technique du fer et du verre.

Peter Behrens, serre sur la Seine, 1925, (dessin DB)
Seuls ces quatre exemples démontrent lors de l’exposition une volonté de rompre avec l’ historicisme et d’adapter les technologie nouvelles à une nouvelle esthétique tournée vers la modernité. Victor Horta pour la Belgique déçoit dans un style néo-classique. Le pavillon néerlandais respecte la tradition locale : bois et briques et ses avant-gardes ne sont pas représentées. Le pavillon britannique n’est pas concerné par une recherche “moderne” ni dans sa décoration intérieure, ni dans sa conception architecturale.

Victor Horta, Pavillon de la Belgique, 1925.

Easton et Robertson, Pavillon de la Grande Bretagne, 1925.
L’exposition propose donc deux volets. D’un côté l’art décoratif (les contemporains) au sens traditionnel du mot qui occupe une place importante quantitativement, avec un art d’élite où l’oeuvre unique est de règle. De l’autre, l’art industriel ou en voie d’industrialisation, qui s’adresse au plus grand nombre et met à sa disposition des formes nouvelles et fonctionnelles (les modernes).
1925 a conjugué toutes les tendances depuis 1909 pour créer le style Art Déco qui va marquer une décade.
LES TISSUS
La mode joue un rôle important dans les arts décoratifs de l’époque avec une figure essentielle : Paul Poiret. Sa collaboration avec Raoul Dufy pour les tissus sera fructueuse. Les tissus de Sonia Delaunay marqueront également ces années 1920-1925.
LES PRÉCURSEURS

Charles-Rennie Mackintosch, chaise pour Hill House, 1902, (dessin DB)

Joseph Hoffmann, couverts, 1904, (dessin infographie DB)

Koloman Moser, fauteuil, 1903, (dessin DB)
Quelques jalons importants ont mené à la transformation formelle des années 20.
Après l’exposition de 1851 William Morris crée “la Morris Company”. Il rend responsable la machine et la mécanisation de la médiocrité des objets. Il veut renouer avec la production artisanale et réhabiliter le travail manuel. En opposition, les “Arts and Crafts” vont affirmer la nécessité de collaborer avec le monde industriel. Les pays anglo-saxons sont à l’origine d’un courant esthétique “puriste” dès l’extrème fin du XIXème siècle. Alors qu’en France, en Belgique, architectes et décorateurs utilisent et multiplient les lignes fluides, organiques inspirées de la nature, la Grande Bretagne propose un art basé sur la ligne droite : Charles Rennie Mackintosch (Glasgow) imagine une architecture rationnelle fondée sur le fonctionnalisme avec une esthétique japonisante. Dans Hill House, à Helensburh (1902-1903), il crée des espaces qui annoncent le néo-plasticisme hollandais et le constructivisme russe.
L’exposition annuelle de la “Wiener Sezession”, en 1900 révèle la parenté de Mackintosch avec les tendances de l’École viennoise et particulièrement avec les oeuvres du peintre Gustav Klimt et de l’architecte Joseph Hoffmann. Vienne est le centre d’un mouvement moderniste qui préfigure l’architecture du XXème siècle. L’architecte Otto Wagner forme à ses théories rationalistes quelques-uns des jeunes qui créent la sécession en 1897 : Joseph Olbrich et Joseph Hoffmann. L’on y trouve aussi Gustav Klimt et Koloman Moser. Ils fondent avec Hoffmann en 1903 les “Wiener Werkstätte »: ateliers d’art avec plusieurs disciplines. L’objectif étant « d’élaborer des formes adaptées à leurs usages, logiques, économiques, répondant à des nécessités esthétiques”. Il y a la volonté d’abandonner toutes références historiques au profit de formes géométriques : Le Palais Stoclet à Bruxelles en est un exemple (1905-1908). Hoffmann démontre que l’architecture est un tout (extérieur/intérieur). Des créateurs comme Horta, Van de Velde, Gaudi, Guimard avaient déjà oeuvré dans cet esprit. En ce sens, le Palais Stoclet est déjà une architecture de 1920.

Joseph Hoffmann, Le Palais Stoclet, Bruxelles, 1911, (dessin DB)

Adolf Loos, Goldman & Salatsch building, Vienne,1909/1911, (dessin DB)

Henry Van de Velde, détail, « École d’Art du Grand-Duché de Saxe », (dessin DB)

Sullivan et Adler, Guaranty Building, Chicago, 1894/1895, (dessins DB)
En 1908 à Vienne Adolf Loos dénonce de manière virulente l’usage abusif et gratuit de l’ornementation et du décor dans : « Ornement et Crime ». Le Corbusier publie une traduction dans l’Esprit Nouveau en 1920. Adolf Loos avait retenu les leçons de Sullivan (École de Chicago). L’Europe découvre l’architecture de Chicago lors de l’exposition de 1893 ainsi que les créations de Franck Lloyd Wright japonisantes. Ce dernier produit également industriellement du mobilier .
Il y a en ce début de XXème siècle une volonté de faire apparaître le processus de fabrication et de laisser au matériaux sa vérité spécifique. C’est ce que propose Henri Van de Velde en Belgique, lorsqu’il conçoit en 1895 l’ameublement de sa maison, le “Bloemenwerf”. Il ne peut cependant s’empêcher dans le contexte de l’époque de rajouter quelques sinuosités comme décoration. Il épurera ses créations pour arriver à une pureté en 1914, qu’il prône à Weimar, prélude au Bauhaus de Walter Gropius.
LES AVANT-GARDES COMME SOURCES ESTHÉTIQUES MAJEURES
L’architecture et les arts décoratifs ont trouvé leurs fondements dans les courants artistiques qui jalonnent la fin du XIXème siècle et le premier quart du XXème siècle. Dans le fauvisme où la couleur exalte l’espace bidimensionnel et l’organise de manière objective. Dans l’ expressionnisme : expression subjective liée au contexte social et politique. Dans le cubisme qui invente graphiquement de nouveaux espaces bidimensionnels (ou le futurisme en Italie). Les couleurs des fauves agressent les décorateurs qui sont dans des palettes pâles héritées de l’Art Nouveau. Ce sont les Ballets Russes, à Paris qui vont révéler ces nouvelles tendances avec les peintres : Bakst, Benois, Korovine. Dufy sera déterminant pour les arts décoratifs aux côtés de Paul Poiret à partir de 1909. L’art du textile de 1920 est redevable à Dufy.
Les Ballets Russes :
En 1909, Paris découvre les ballets de Diaghilev avec la peinture très présente : décors, affiches, costumes… La couleur est reine. Léon Bakst est le chef de file de ces ballets auquel viendront se joindre en 1914 Nathalie Gontcharova et Michel Larionov. Après 1917, Satie, Poulenc, Picasso, Matisse, Derain, Max Ernst, Gabo, Pevsner, Cocteau… participeront à la création des ballets de Diaghilev: parade et train bleu… Le cinéma n’est pas en reste : Fernand Léger réalise en 1924 le Ballet Mécanique. Malgré la forte présence de courants comme le fauvisme, l’architecture française évolue lentement à l’exception de Le Corbusier qui invente, en compagnie d’Amédée Ozenfant le purisme pour contrer l’aspect trop “décoratif” du cubisme. Le purisme exprime par l’affirmation de la bidimensionnalité du tableau les invariants formels figuratifs, sans déchets.

Piet Mondrian, tableau N°IV; composition avec du rouge, gris, bleu, jaune et noir, 1924/1925.

Gerrit Rietveld, maison Schröder, 1923, (dessin DB)
Le Néo-Plasticisme (Pays-Bas): propose quant à lui une synthèse des arts et fait figure d’un mouvement d’avant-garde essentiel durant ces années 20. Théo Van Doesburg, Piet Mondrian, Gerrit Rietveld… créent et participent à De Stijl. Leurs activités englobent tous les secteurs de la création: peinture, sculpture, architecture, mobilier. Basée sur la non figuration, leurs productions visent à rendre et à réinvestir des réalités objectives. Ce courant se développe également sous l’appellation d’abstraction géométrique.
Le Suprématisme et Le Constructivisme (U.R.S.S.) : Kasimir Malevitch, Naum Gabo, Pevsner, El Lissitsky sont à l’origine de ces courants. Ils diffusent leurs théories et leurs créations dans l’Europe entière. Comme l’avant-garde hollandaise, ils vont produire dans les différents domaines de créations.

Kasimir Malévitch, Suprématisme dynamique, 1916.

El Lissitsky, Proun 99, 1924.
LES CONSÉQUENCES DE 1925
L’exposition de 1925 va influencer de manière inégale les créateurs européens. Dans certains domaines et en particulier dans les productions liées à la consommation courante, la tradition va être davantage tenace et les innovations timides. Cependant, progressivement, les ornements renoncent à la courbe et à l’aspect végétal au bénéfice de jeux et d’imbrications de formes géométriques. Les contours tendent vers des formes de base : cylindre, cône, cube… qui vont devenir celles de l’Art Déco. Les espaces intérieurs s’agrandissent. L’objet tend à prendre de plus en plus de place dans ces espaces et à s’ y intégrer formellement et fonctionnellement.

Cassandre, caractères « bifur », 1929.
Cassandre invente l’affiche des années 20 ainsi que le caractère “bifur” en 1929, symbole d’une typographie “art déco”, d’aspect épuré et géométrique.
L’univers de l’objet subit également quelques transformations formelles:

Jean Puiforcat, pièce pour service à café, 1925, (dessin et infographie DB)
En orfèvrerie , les techniques artisanales renforcent les traditions à travers le savoir-faire.Pourtant, certains artisans ou ateliers se veulent “modernes” dans leurs choix formels et décoratifs : l’orfèvre Jean Puiforcat se réclame de ceux-là. Ses productions restent cependant des objets luxueux conçus avec des matériaux riches.
C’est l’Union des Artistes Modernes (U.A.M.), qui va déclencher véritablement la production moderne. L’ U.A.M. rassemble autour de René Herbst, Francis Jourdain, Robert Mallet-Stevens, les insatisfaits de l’exposition de 1925. Ils veulent changer l’objet mais aussi les modes de vie. Ils vont s’intéresser aux modes de fabrication industriels et à leur production. Pour Mallet-Stevens, le mobilier est directement lié à l’espace intérieur et à sa fonction.

Robert Mallet-Stevens, Hôtel Martel, Paris, 1927, (dessin DB)

Robert Mallet-Stevens, suspension en métal poli, 1930, (dessin et infographie DB)

René Herbst, fauteuil, 1928, (dessin et infographie DB)

René Herbst, chaise de salon, 1928, (dessin et infographie DB)
Le métal fait son entrée “en force” dans le mobilier et le luminaire en 1927.
1927 va être un tournant dans la création au XXème siècle. C’est l’amorce du design moderne et la rupture avec l’Art Déco. La notion de série se généralise avec la production en grande quantité. L’avenir n’est plus dans ceux qui ont dominé l’exposition de 1925, mais dans l’U.A.M. et L’Esprit Nouveau.

Mies Van der Rohe, fauteuil « barcelone », 1929, (dessin DB)
Les États-Unis adoptèrent un temps ces formes “art déco” en tant que motifs décoratifs. L’architecture américaine, après avoir rayonné durant la reconstruction de Chicago (École de Chicago, 1871-1922), sombre dans le décoratif “gratuit” comme avec le Chicago Tribune de 1922 (réminiscences gothiques). Le vocabulaire architectural est inadapté aux techniques utilisées. L’Europe propose en 1921 une solution esthétique nouvelle pour des matériaux nouveaux avec Mies van der Rohe. Le Bauhaus de 1925 de Walter Gropius est l’illustration de ces nouvelles tendances en Europe issues des avant-gardes. Le pavillon de Barcelone de Mies confirme la modernité des créateurs et l’émergence d’un style international qui va condamner l’art déco. Les préoccupations des architectes modernes s’élargirent rapidement à la ville tout entière, notamment à travers les CIAM (congrès internationaux d’architecture moderne, 1928-1959). En 1933, le congrès d’Athènes fut consacré à la « ville fonctionnelle » et définit des principes d’organisation universels.

Marcel Breuer, chaise avec piétement tubulaire, 1928, (dessin et infographie DB)
Certains objets de consommation restaient quant à eux en retard d’un point de vue formel. Les plus récents par leur technologie étaient délaissés dans un premier temps par les créateurs. Les fabricants plaquaient alors des décors empruntés à l’architecture ou au mobilier ancien. Le récepteur radio en est un exemple. C’est Wells Coates qui a travaillé avec Gropius en Angleterre durant les années 1930, qui va créer la première radio « ronde » en bakélite pour la firme Ekco en 1934. Le pot à thé de Marianne Brandt illustre le
devenir de l’objet du XXème siècle, ainsi que les sièges tubulaires de Marcel Breuer très largement édités tout au long du XXème siècle..
Les arts décoratifs deviendront les arts appliqués à l’industrie en 1920. L’exposition de 1925 devait être la réponse française à la poussée étrangère des “munichois” de 1910. Elle devait se démarquer de l’époque 1900 et apporter un nouveau style. Ce fut fait en partie avec le style ”art déco”. L’architecture à été le révélateur et le support des tendances nouvelles très largement influencées dans les années 20 par les Pays-Bas, la Russie. L’Allemagne quant à elle réalise en quelque sorte la synthèse des avant-gardes pour la communiquer à ce qui allait devenir en 1930 l’esthétique industrielle sous l’impulsion de Raymond Loewy aux États Unis qui crée la première agence de design. Le terme design passera dans le langage courant au début des années 1960.
Sorry, the comment form is closed at this time.